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Approfondir le cadre de l’intégration de Ager & Strang : de l’importance du prisme humain

Suite à un précédent billet sur le cadre de l’intégration de Ager et Strang, j’ai reçu des demandes pour approfondir le sujet et j’espère que ce billet pourra satisfaire votre curiosité. Il est évident que la question de l’intégration est complexe, délicate, et ne peut être appréhendée uniquement à travers des métriques ou des critères rigides. Pour citer un récent exemple, le taux d’emploi n’est pas une mesure adéquate de l’intégration, tout comme le temps passé au travail ne mesure pas l’amour que portent les immigrés à leur pays d’accueil. Aujourd’hui, je voudrais réitérer l’importance des sciences humaines et sociales pour comprendre ce sujet épineux.

Crédit photo libre : Juan Encalada

L’intégration est avant tout une histoire humaine, et comme toute histoire humaine, elle est remplie de subtilités et de contradictions. Les cadres conceptuels, comme celui de Ager et Strang, sont des outils précieux pour structurer notre pensée, mais ils ne doivent jamais être considérés comme des recettes infaillibles. En effet, pour comprendre la complexité de l’intégration, nous devons avant tout être prêts à écouter, à comprendre et à reconnaître la complexité de l’expérience humaine.

Prenons un moment pour nous attarder sur les différentes dimensions du cadre d’Ager et Strang. Chacune d’elles est nécessairte et complexe à sa manière, et elles sont toutes intimement liées. Une progression dans l’un de ces domaines peut entraîner des changements dans un autre. Il est essentiel de ne pas se concentrer sur une seule dimension au détriment des autres, car l’intégration est un processus global qui implique une interaction constante entre ces différentes dimensions.

Commençons par l’intégration structurelle. Celle-ci se réfère aux aspects pratiques de l’intégration, tels que l’emploi, le logement, l’éducation et la santé. C’est peut-être la dimension la plus tangible, celle que l’on peut quantifier plus facilement. Pourtant, son caractère concret ne la rend pas moins complexe. La capacité à trouver un travail, un logement décent, à accéder à une éducation ou à des soins de santé de qualité, n’est pas uniquement déterminée par les qualifications individuelles, mais est également fortement influencée par les structures institutionnelles et les politiques en place.

L’intégration culturelle, quant à elle, concerne l’apprentissage de la langue, la compréhension des normes et des valeurs culturelles, ainsi que l’adaptation à la culture locale. C’est un aspect souvent plus subtil, et qui peut être plus difficile à mesurer. Cette dimension est cruciale pour permettre aux immigrants de se sentir chez eux dans leur nouveau pays. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre une nouvelle langue, mais aussi de comprendre et de naviguer dans un nouvel ensemble de normes sociales et culturelles.

L’intégration sociale se réfère aux interactions avec les membres de la société d’accueil, à la participation à la vie sociale, à la création de réseaux sociaux. Cette dimension est essentielle pour favoriser un sentiment d’appartenance et éviter l’isolement. Elle dépend à la fois de la volonté de l’individu de s’engager avec la société d’accueil et de la réceptivité de cette dernière à accepter et à inclure les nouveaux arrivants.

Et puis, l’intégration identitaire se rapporte à la construction de l’identité individuelle et collective, ainsi qu’à la place de l’individu dans la société d’accueil. Cette dimension est souvent négligée, car elle est la plus intangible et subjective. Pourtant, elle est indispensable pour le bien-être psychologique des migrants. L’intégration identitaire nécessite un équilibre délicat entre la préservation de son identité culturelle d’origine et l’adaptation à la nouvelle culture.

Maintenant rencontrons Marie, une femme immigrante racisée, mère de deux enfants, qui vient de s’installer au Québec. Son parcours va mettre en lumière comment le cadre de l’intégration d’Ager et Strang peut être appliqué dans la pratique.

L’intégration structurelle de Marie est entravée par plusieurs difficultés. Elle peine à trouver une gardienne pour son plus jeune enfant et une classe d’accueil pour son fils aîné. Ces obstacles la limitent dans sa recherche d’emploi, elle a du mal à concilier les horaires de travail avec les responsabilités parentales. Elle cherche aussi désespérément un médecin pour soigner la toux persistante de son fils aîné, mais les listes d’attente sont longues et les places rares. L’accessibilité aux soins de santé, essentielle à l’intégration structurelle, est un obstacle supplémentaire pour Marie. De plus, malgré sa carte de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), elle ne parvient pas à trouver un professionnel de santé qui accepte de nouveaux patients.

Le logement, un autre aspect essentiel de l’intégration structurelle, se révèle également problématique. Marie a trouvé un emploi, mais son lieu de travail est éloigné du quartier où elle vit. Elle n’a pas pu trouver un logement à proximité de son lieu de travail en raison du manque de logements abordables et de l’absence d’antécédents de crédit, qui ont conduit plusieurs propriétaires à refuser sa candidature. Chaque jour, Marie doit naviguer dans le complexe système de transport public, ajoutant une contrainte de temps supplémentaire à ses journées déjà chargées.

Ces multiples défis démontrent à quel point l’intégration structurelle est interconnectée avec les autres dimensions de l’intégration. En effet, les difficultés que rencontre Marie dans la recherche de services de garde et de soins de santé influencent son intégration sociale, car elles limitent son temps et ses opportunités pour établir des relations sociales. De plus, ces obstacles ont un impact sur son intégration culturelle et identitaire : alors qu’elle tente de comprendre et de s’adapter à la culture québécoise, elle doit aussi gérer un stress constant et une incertitude quant à son avenir et à celui de ses enfants au Québec.

En faisant écho aux défis auxquels sont confrontés de nombreux immigrants, l’histoire de Marie illustre l’importance de considérer l’intégration comme un processus complexe et dynamique. Elle met en évidence la nécessité de politiques et de services d’intégration holistiques, qui prennent en compte les diverses dimensions de l’intégration et comment elles interagissent entre elles.

De plus, l’intégration est un processus dynamique et évolutif. Les migrants ne sont pas des objets passifs qui subissent le processus d’intégration, mais des individus actifs qui participent activement à leur intégration. C’est pourquoi il est important de ne pas considérer l’intégration comme une destination à atteindre, mais comme un voyage qui se déroule au fil du temps. Les obstacles rencontrés en cours de route ne doivent pas être considérés comme des échecs, mais comme des occasions d’apprendre et de s’adapter.

Enfin, il est essentiel de reconnaître que l’intégration n’est pas seulement l’affaire des migrants, mais aussi celle de la société d’accueil. L’intégration est un processus réciproque qui nécessite un engagement de la part de tous les membres de la société. Ce n’est que lorsque nous reconnaissons cette réciprocité que nous pouvons commencer à construire des communautés véritablement accueillantes et inclusives.

Références :

Ager, A., & Strang, A. (2008). Understanding integration: a conceptual framework. Journal of refugee studies, 21(2), 166-191.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sebastien KEIFF (26 juillet 2023). Approfondir le cadre de l’intégration de Ager & Strang : de l’importance du prisme humain. Le blog du papa chercheur. Consulté le 8 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/snso


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