Ada Blackjack
La Survivante de l’Arctique
Aujourd’hui, je vais vous parler d’une héroïne méconnue mais incroyablement courageuse : Ada Blackjack. Oui, ce n’est pas un nom de super-héroïne de comics, mais l’histoire de cette femme est tout à fait digne d’une épopée.

Qui est Ada Blackjack ?
Imaginez l’année 1921, une époque où les cartes géographiques étaient encore parsemées de zones grises et d’espaces vierges, où les explorateurs étaient des héros nationaux, et où le mystère de l’inconnu enflammait l’imagination du monde. C’est dans ce contexte qu’émerge Ada Blackjack, une femme inuite née dans le petit village isolé de Spruce Creek en Alaska. Ses yeux ont vu des aurores boréales danser dans le ciel nocturne, mais jamais elle n’aurait pu imaginer qu’elle deviendrait la pièce maîtresse d’une expédition destinée à revendiquer l’île Wrangel pour le Canada et la Grande-Bretagne.
Ada n’était pas une aventurière, pas une exploratrice aux ambitions démesurées; elle était plutôt une femme simple, une mère célibataire cherchant à survivre dans un monde qui ne lui offrait pas de faveurs. Veuve et mère d’un fils atteint de la tuberculose, elle vivait une existence précaire quand elle entendit parler de cette expédition en quête d’une femme pour s’occuper de la cuisine et de la couture. Animée par un besoin désespéré d’argent pour soigner son jeune fils, elle accepta l’offre. Ada n’avait aucune expérience en survie en milieu sauvage, aucune formation pour ce qui l’attendait. Et pourtant, elle embarqua sur ce navire, poussée par un amour maternel indéfectible et la promesse d’un salaire qui pourrait offrir un avenir meilleur à son fils bien-aimé.
L’Expédition de l’Île Wrangel : Une Odyssée Héroïque
Le contexte international était électrique. Nous sommes au début des années 1920, une période où l’empire britannique cherche à étendre ses frontières, et où le Canada, aspirant à plus d’autonomie, cherche à asseoir son identité nationale. Le but de cette expédition audacieuse était de planter le drapeau britannique et canadien sur l’île Wrangel, une terre arctique inhospitalière, disputée et non cartographiée avec précision. La revendication de cette terre était vue comme un acte héroïque, un geste qui inscrirait les noms des participants dans les annales de l’histoire.
L’équipage était composé de quatre hommes audacieux. Allen Crawford, l’aguerri trappeur et éclaireur; Lorne Knight, l’ombrageux mais compétent naturaliste; Fred Maurer, le cartographe passionné par les régions polaires; et Milton Galle, un jeune étudiant avide d’aventures. Dirigés par Vilhjalmur Stefansson, un explorateur polaire canado-islandais de renom, ces hommes étaient la crème de la crème, triés sur le volet pour leur courage et leur expertise. Stefansson lui-même ne serait pas du voyage, préférant confier la mission à ses hommes de confiance.
Toutefois, ce quatuor de héros aurait besoin de quelqu’un pour maintenir le camp, cuisiner et réparer les vêtements. C’est ici qu’Ada Blackjack entre en scène. Chacun de ces hommes savait qu’il s’engageait dans une mission périlleuse, voire mortelle. Ils partaient non seulement à la conquête d’une terre mais aussi d’une idée, celle de la grandeur humaine, de l’audace qui marque le cours de l’histoire.
Pour s’embarquer dans une telle aventure, il fallait posséder un certain type de bravoure, une volonté de fer, et une foi inébranlable dans la possibilité de l’impossible.
Le Départ et l’Arrivée sur le Sol Glacial
C’est sous un ciel d’été de l’Alaska que le petit groupe d’aventuriers quitte le port, les yeux remplis d’anticipation et de rêves de gloire. Leur bateau, modeste mais robuste, fend les eaux froides du nord, emportant avec lui non seulement des hommes mais aussi une myriade de provisions, de cartes, et d’équipements. Le bateau accoste enfin sur le rivage déchiqueté de l’île Wrangel, un paysage presque martien, composé de glace et de pierres, sous un ciel sans fin où le soleil peine à percer.
Chaque membre de l’équipe débarque avec un sentiment mêlé d’excitation et d’appréhension. Ce sol inhospitalier serait leur maison, leur laboratoire, et peut-être même leur tombeau. Les premiers jours sont consacrés à l’établissement du camp, à des mesures et des observations. La camaraderie règne et le moral est au beau fixe.
Le Tournant du Désastre
Mais les semaines passent et une réalité cruelle s’installe : l’île est un enfer gelé qui ne livre pas facilement ses ressources. La chasse se révèle infructueuse, les provisions s’épuisent. Pire encore, aucun navire de secours n’apparaît à l’horizon, bien que l’été soit de retour. Le doute s’insinue dans les esprits, rongeant la confiance et l’optimisme qui avaient porté l’équipe jusque-là.
C’est alors que la décision est prise. Les quatre hommes, laissant derrière eux Ada et le chat de l’équipe, Vic, partent chercher du secours. Ils disparaissent au loin, réduits à de simples points noirs sur la vaste étendue blanche, avec la promesse de revenir vite. Ada se retrouve seule, avec pour seule compagnie ce petit félin téméraire. Oui, un chat, dont le pelage était aussi noir que les nuits de l’Arctique.
Le départ des hommes est un moment déchirant, amplifié par l’immensité du paysage qui engloutit leur présence. Ada se tient là, devant la toile de leur tente, dans ce paysage de glace et de solitude, où même le vent semble retenir son souffle. Elle sait que le pire est peut-être encore à venir.
Le Combat Quotidien de la Survivante
Ada, seule à présent, doit trouver en elle-même la force de survivre. Son fils, qui l’attend quelque part sur le continent, devient sa raison de persévérer. Elle commence par inventorier ce qu’elle a : quelques boîtes de conserve, un fusil de chasse, du fil, une aiguille, et bien sûr, Vic le chat. Mais dans cette contrée où même l’air semble geler, chaque jour est un combat acharné pour la survie.
S’Adapter ou Périr
Ada n’a jamais chassé de sa vie, mais la nécessité est la mère de toutes les inventions. Après plusieurs tentatives, elle parvient à tuer un phoque. Les entrailles du phoque lui fournissent non seulement de la nourriture mais aussi de l’huile pour sa lampe. Elle apprend à tendre des pièges pour attraper des petits animaux. Chaque prise est une petite victoire, une assurance de quelques jours de plus dans ce désert de glace.
Des Abandons Involontaires
Rapidement, elle comprend que l’abri initial est trop grand pour être chauffé efficacement. Ada s’attelle alors à construire un nouvel abri plus petit, plus facile à chauffer, en utilisant des plaques de glace et des peaux de phoque. Elle utilise également les os comme outils, montrant une inventivité et une résilience remarquables.
La Solitude et l’Espoir
Son quotidien est rythmé par ces petites tâches vitales: chasser, maintenir le feu, réparer son abri. La solitude est son unique compagne, si l’on excepte Vic le chat, qui est également devenu un chasseur adroit, ramenant parfois de petits animaux. La présence de Vic offre à Ada un semblant de normalité, une parcelle de chaleur dans cet univers froid et indifférent.
L’Inattendu
Un jour, alors que le moral est au plus bas, Ada découvre un sac de farine abandonné dans la neige. C’est une manne tombée du ciel, une preuve que même dans les moments les plus sombres, la chance peut tourner. Avec cette farine, elle cuisine du pain, une nourriture si basique mais devenue si précieuse. C’est un nouveau souffle, une lumière d’espoir dans l’obscurité de sa vie isolée.
Le Sauvetage
Près de deux ans après son arrivée sur cette île isolée, Ada voit enfin apparaitre à l’horizon un bateau de secours. Son attente, son combat acharné pour la survie, sa résilience face à l’adversité, tout cela prend fin. Quand les sauveteurs la retrouvent, ils sont stupéfaits de découvrir qu’Ada a survécu, transformée en une véritable femme de la frontière.
Elle a survécu contre toute attente, dans l’un des environnements les plus inhospitaliers de la planète. Ce n’était pas seulement un exploit physique, mais aussi un triomphe de l’esprit humain. Ada Blackjack n’était pas une exploratrice, mais elle est devenue une survivante, une héroïne dans la plus pure tradition des grands explorateurs. Et elle l’a fait tout en étant une mère, une femme, et une personne ordinaire confrontée à des circonstances extraordinaires.
Ainsi, Ada Blackjack, la couturière et mère célibataire, gravit les échelons de l’histoire, non pas comme une victime mais comme une survivante, une héroïne de l’âge moderne de l’exploration.
L’Humilité d’une Héroïne : La Suite de l’Histoire d’Ada Blackjack
Retour à la Civilisation
Quand Ada Blackjack est enfin secourue en 1923 et ramenée à la civilisation, elle ne revient pas en héroïne acclamée, mais en simple femme cherchant à retrouver son fils. Elle découvre que son enfant a été placé dans un orphelinat, et son premier geste est de le récupérer. La presse, cependant, est avide de son histoire, mais pas toujours pour les bonnes raisons. Certains journaux publient des articles sensationnalistes, la dépeignant soit comme une héroïne, soit, de manière plus controversée, comme une sorte de “femme fatale” ayant survécu au détriment de ses compagnons masculins.
Une Vie Discrète
Après l’agitation médiatique, Ada choisit de vivre une vie discrète en Alaska. Elle ne capitalise pas sur sa nouvelle notoriété; il n’y a pas de livre, pas de tournée de conférences. Elle retourne à ses métiers de couturière et de trappeuse, les compétences qui lui ont sauvé la vie dans l’Arctique. La seule aventure qu’elle souhaite vivre est celle d’élever son fils, Bennett, et de lui fournir une vie stable.
Une Mère avant Tout
Ada investit tout l’argent qu’elle a gagné grâce à ses interviews et droits d’image dans l’éducation de son fils, qui avait été atteint de tuberculose. Bien qu’elle ait eu des opportunités de gagner plus d’argent en exploitant son histoire, elle décide que son rôle de mère est plus important que toute célébrité ou richesse.
L’Oubli et la Redécouverte
Ada Blackjack tombe peu à peu dans l’oubli, même dans les cercles d’exploration et d’aventure. Ce n’est que des années plus tard que son exploit est redécouvert et correctement évalué comme un véritable acte de bravoure et de résilience. Des historiens et des auteurs s’intéressent enfin à son histoire, la replaçant dans le contexte plus large de l’exploration arctique et des réalisations extraordinaires des femmes.
L’Héritage d’Ada Blackjack
Ada Blackjack ne laisse pas seulement un héritage d’humilité et de résilience, elle se dresse également comme une figure emblématique du féminisme. Elle démontre que la bravoure et la ténacité ne sont pas des qualités exclusivement masculines. Ce qu’elle a accompli dépasse le cadre d’une “mère qui survit pour son enfant”; elle est un être humain qui a survécu par sa propre ingéniosité et détermination dans un environnement impitoyable.
Son histoire est une inspiration pour toutes les personnes, en particulier les femmes, qui sont souvent marginalisées ou sous-estimées. Ada n’a pas cherché la gloire ni l’approbation publique; elle a tout simplement fait ce qu’elle devait faire. Et en ce faisant, elle a défié les stéréotypes de genre de son époque — et des nôtres.
Son histoire nous rappelle que l’héroïsme et la grandeur ne se mesurent pas en exploits spectaculaires ou en reconnaissances publiques, mais dans la capacité de chaque individu à surmonter les défis insurmontables, quels que soient leur sexe ou leur statut social. Ada Blackjack incarne la puissance du courage individuel et de l’autonomie, et son exemple demeure un témoignage puissant pour tous ceux qui aspirent à briser les barrières et à définir leur propre destin.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sebastien KEIFF (13 septembre 2023). Ada Blackjack. Le blog du papa chercheur. Consulté le 8 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/sntl